mercredi 20 juillet 2011

"Cuisinier de l'Empereur"

Cher cousin,

Si je me propose aujourd’hui de t’emmener dans les cuisines impériales, je préfère de dire tout de suite qu’il ne s’agit pas là  de « ton » Empereur, ni de son fils Napoléon, François, Joseph, Charles (1811-1821) qui ne régna que vingt jours,  et fut surnommé l’Aiglon par un Victor Hugo nostalgique de l’Aigle, (il était lui-même fils d’un général d’empire). Mais  d’un Napoléon numéro 3 dit Le Petit, ou « le tyran pygmée d'un grand peuple » par le même Victor Hugo cette fois très en colère après le coup d’Etat du 2 décembre 1851. Mais c’est une autre histoire. Revenons donc à la nôtre.
« Cuisinier de l’Empereur », c’était la profession indiquée à coté du nom de Victor Mélino, dans l’un des documents de la succession de son père en 1859.  


Victor, Cuisinier de l'Empereur
Ce nom ne t’évoque rien ? C’est normal, tu ne pouvais pas le connaitre, il est né en 1823, et tu es mort – je suis désolée de te le rappeler – à la fin de l’année 1812. Mais j’ai toujours pensé que tu avais fréquenté son père Louis Mélino, d’abord (peut-être) enfant rue des Arts  à Lille où travaillaient vos mères, puis (peut-être) quand il a commencé à fréquenter ta cousine Catherine Ribeyre avant de l’épouser, ou quand il a (peut-être) réalisé ton petit portrait des années avant qu’il ne réussisse  à obtenir l’enregistrement de ton acte de décès à la mairie de Lille en mars 1825.
Bref c’est un des personnages clés de ton histoire, de notre histoire commune. Et la découverte, il y a quelques semaines seulement qu’il avait un fils dont la profession était « Cuisinier de l’Empereur » m’avait à la fois ravie et surprise. Que cela ne figure pas dans notre mythologie familiale était étonnant.  Papa  parlait de toi, son parent porté disparu pendant la Retraite de Russie, ou encore du père de Louis Mélino conducteur de charrois dans l’Armée du Nord ; jamais il n’aurait laissé oublier un arrière-grand oncle « Cuisinier de l’Empereur ».
Les clés de ce nouveau mystère, je les ai trouvées aux Archives Nationales, très précisément dans le répertoire en microfiche (série o/5/132 à 143) du personnel de la Maison de l’Empereur.
Et je dois te l’avouer, celle de Victor Mélino m’a plutôt amusée. Disons cher cousin, qu’il ne portait pas exactement le titre de « Cuisinier de l’Empereur », mais celui de « Sous aide de Cuisine » au service du Grand Maréchal.
En attendant l’arrivée de son dossier o/5/114, celui qui commence avec  les Me comme Mélino– et oui, aux AN, il y a le dossier de tous les membres du personnel  – j’ai trouvé ces informations sur le-dit Grand Maréchal. Grâce à l’Almanach impérial de 1859, j’ai appris qu’il s’appelait Vaillant, qu’il était aussi sénateur et membre du Conseil Privé. Dans son Dictionnaire du Second Empire, Jean Tulard  consacre presque trois colonnes à ce Jean Baptiste Philibert Vaillant.  Alors qu’il n’était qu’employé au parc général de la grande armée a Marienwerder sur la Vistule, il avait rencontré « ton » Empereur, le temps d’un déjeuner et d’une inspection de la tête de pont : « Il eut la bonté de me dire qu’il était content…j’avais moins peur de lui en 1812 que de l’Empereur Napoléon III cinquante ans plus tard. » Mais il ne dit pas en quoi le numéro trois était plus impressionnant que le numéro un.
Et voilà le dossier de Mélino, Victor : trois feuillets dans une chemise. D’abord deux lettres sans fioriture ni signature, qui annonce des décisions de son Excellence le Grand Maréchal du Palais. Par la première datée du 1er mai 1853, il est nommé « Premier Garçon de Cuisine dans la Maison de l’Empereur au traitement de neuf cents francs » (par an). Par la seconde, datée du 15 octobre, il est nommé Sous Aide de Cuisine au traitement de mille francs. A propos de cette promotion, il y a une troisième lettre avec l’en-tête de la Maison de l’Empereur, daté du 6 octobre, un lieu le Palais de Saint-Cloud et signé Vaillant, le Grand Maréchal.
A titre de comparaison et pour te donner une idée des salaires, j’ai noté pour toi  quelques exemples recueillis parmi les autres dossiers de la série o/4/114, toujours dans les M :
-Henri Meru, aide portier : 400 francs
-Mauginet Henry, 2ème garçon de cuisine : 800 francs
-Henry Martin, valet de chambre d’appartement de 2ème classe : 1800 francs
-Marie Meurisse, 2ème femme de chambre de l’Impératrice : 2000 francs
-François Maconé, officier tranchant (celui qui coupait les viandes) : 2000 francs
-Jean-Nicolas Marchand, médecin du palais des Tuileries : 3000 francs
Et le Baron de Méneval, officier d’ordonnance de l’Empereur : 8000 francs


Voilà cher cousin ce que j’ai pu apprendre sur la carrière dans les cuisines impériales de Victor Mélino.
Quand à moi je vais renoncer à frimer. Si je pouvais m’amuser à placer dans une conversation au cours d’un diner l’arrière-grand-oncle qui était « Cuisinier de l’Empereur… », avec la mention « Sous aide de Cuisine » et comme on le dit familièrement aujourd’hui, même avec les majuscules, ça le fait nettement moins…